Promenade mondaine (pv Lorelei/ Irina au moins au début)

Lorelei n'avait encore jamais goûté aux joies des promenades mondaines. Il était de bon ton, à la Cour de Russie, que les femmes de la Cour fassent, de temps en temps, une petite promenade à cheval, ensemble. Lorelei trouvait cette tradition très intéressant et s'y plia avec boheur: elle adorait monter et elle se disait qu'ainsi, elle ferait connaissance avec tout le monde.Le rendez-vous était donné au champ d'Aphrodite. Elle même avait revêtu sa tenue d'équitation et elle était donc en pantalon: essayez donc de galoperou même trotter en robe! Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle arriva avec son cheval à l'endroit dit! Des femmes en dentelles et des chevaux parés de perles, de pierres semi précieuses et de draps fins. Quelle déconvenue... Et ça piaillait là dedans comme dans un poulailler... La promenade risquait de manquer de piquant... Elle apperçut soudain une femme, de dos, à l'écart du groupe. Elle avait une chevelure rousse à faire pâlir le soleil. Elle s'approcha de cette femme en pantalon et dit:

-Bonjour! Je vous en prie, dites-moi que vous prenez part à la promenade!

Elle ne se voyait pas du tout seule au milieu de ces pintades gloussantes...

Irina était accablée. Pourquoi s'était-elle pliée à cette promenade mondaine? L'inconséquence de toutes ces mijaurées lui promettait déjà un ennui mortel. Si elle échappait à ce que qu'on lui adresse la parole, comme elle le faisait en général, elle réussirait à s'éclipser et à se détacher du groupe. En panlon brun et pourpoint vert, elle se camouflerait rapidement dans la verdure...

Lorsqu'on l'interpella, elle crut que son heure était venue. Elle se retourna brusquement, prête à répliquer sèchement un "malheureusement oui" mais s'arrêta juste à temps. La femme qui était en face d'elle semblait être la seule personne ayant la même définition d'une promenade à cheval qu'elle, et la seule avec une cervelle. Un soulagement sans borne enfla dans sa poitrine. Elle changea sa tactique d'approche.

- Oui, j'y participe. Et j'ose croire ne pas être la seule à trouver ... les préoccupations de ces dames... de fort mauvais goût. Savent-elle seulement sauter une haie? Est-ce seulement possible avec autant de fanfreluches?

Si leurs chevaux étaient aussi stupides qu'elles, elle aurait peut-être le plaisir de voir l'une de ces pécores prendre un bain de boue.

- Au fait Lorelei, je m'apelle Irina...

Malgré le costume, elle avait reconnue la femme du Tsar. Mais n'ayant pas été présentées à la fête, elle préféra s'introduire immédiatement, histoire de leur éviter les mondanité d'usage.

Lorelei sourit: une femme de caractère, ça se voyait!

-Enchantée, Irina! La seule mention de sauter une haie doit leur donner des vapeurs, effectivement!

Elle tenait Traum par la bride et elle le présenta à Irina:

-Voici mon cheval, Traum, sauteur de haies à ses heures mais surtout, galopeur infatigable! Comment s'appelle le votre?

Elle monta en selle, souplement. Elle adorait ce contact si particulier qu'elle avait avec son cheval, lorsqu'elle montait sur son dos. L'impression de ne faire qu'un seul et même corps...

-Vous savez je trouvais que ces promenades étaient une bonne idée, jusque là. Et puis bien entendu, j'ai déchanté! Mais à présent que je vous vois, l'espoir renait!

Irina imita Lorelei.

- Traum est magnifique. Vous allez très bien ensemble.

C'était vrai. Monture et cavalière avaient beaucoup d'allure et on sentait la conivence qui existait entre les deux

- Je vous présente Kuolema. Où je suis, elle est aussi. Je ne voudrais pas d'autre jument pour tout l'or du monde!

Elle regarda une dernière fois autour d'elles.

- Jusqu'à votre arrivée, j'ai crû que la seule façon dont j'allais m'en sortir aurait été de me séparer du groupe à la première occasion venue. Mais à présent, je suis ravie de voir que cette sortie n'a pas totalement été sabordée!

Lorelei partit d'un grand éclat de rire:

-De même!

Elles furent interrompues par une dinde rose fushia emberlificottée dans des dentelles aussi innombrables que ridicules. La duchesse de Krekranov... Une jeune mariée vieille avant l'âge, à la fois guindée et dévergondée: mélange détonnant. Personne à la cour n'ignorait ses nombreux amants. Sauf son mari, un benêt à peine sortable que l'on avait marié pour le caser et lui donner un peu de prestence. Mais la prestence d'un cocu bienheureux... Bref, c'est une autre histoire!

-Youhou! Mesdames, venez donc, nous partons!

Elle faisait des grands gestes de chapeau à plumes, perchée sur un cheval "emplumé" des pieds à la tête. Un vrai tableau de cirque. Une oie grasse sur un cheval de bois pour enfants... Lorelei retint un éclat de rire bruyant tant la scène était ridicule. Elle feignit la crise de toux...

-Je crois que le devoir nous appelle... Courage...

Irina se para de son air le plus froid et suivit Lorelei qui, en tant que Tsarin, se devait d'ouvrir la marche. Cependant, pour éviter tout accident, Irina se devait de décourager quiconque ne serait-ce que de tenter d'avoir une conversation avec elle.

Elle n'avait que du mépris teinté de chagrin pour toutes ces femmes sans cervelle...

- Elle est belle la cour de Russie! Croient-elles vraiment qu'il leur suffise de poséder un titre et une famille noble pour être à la hauteur? Ne se rendent-elles donc pas compte de leur propre ridicule?

Irina avait parlé sans trop moduler sa voix, si bien que les dames alentours qui auraient tendue l'oreille n'auraient eu aucun mal à l'entendre et à s'en offusquer... Si elle avaient tendues l'oreille, ce qui lui semblait fort improbable étant donné leurs exclamations mutuelles sur les chevaux de pacotilles, des bêtes sans carractères, et leurs accoutrement ridicules.
Elle soupira.

- Ici comme ailleurs, tout est dans le paraître...

Lorelei sourit à Irina:

-Je crois qu'à cette vue désespérante, l'expression "bête comme une oie" prend tout son sens... Une excellente illustration pour enfants... De vraies oiseaux de basse cour! J'en conviens! Et le plus affreux, c'est qu'ici, ce n'est pas pire qu'ailleurs! Bien au contraire! On arrive quand même à trouver des gens intelligents!

La duchesse de Krekranov doubla ses compagnes avec son pur sang arabe blanc. Le cheval était splendide et on sentait toute la puissance retenue d'un tel animal. Mais la duchesse le tenait si serré, avec ses rênes allemandes, qu'il ne pouvait qu'aller au pas, dansant presque à chaque pas, ce qui donnait l'air encore plus pintade à sa cavalière rondouillarde.

-Mesdames, je suis contente de vous voir ici! C'est vrai, on m'avait dit, tu verras la nouvelle tasrin est prussienne, elle sera froide comme un glaçon, mais je vois bien que ce n'est pas vrai, vous êtes bien gentille! Voyez vous j'ai connu des prussiens qui étaient ma foi assez insupportables comprenez vous ils ne parlaient presque pas c'était un enfer on n'avait du mal à trouver un sujet de conversation alors la pluie et le beau temps ça va bien mais on a aussi envie de dire autre chose alors vous voyez...

Et elle continuait inlasablement, ridicule, sans rerendre son souffle. S'en était d'ailleurs affolant: elle devenait rouge pivoine, puis respirait, redevenait rouge et ainsi de suite. Un vrai tableau... Lorelei soupira plus d'une fois, mais la duchesse était lancée... Et à présent elle racontait une anecdote sur la marquise de Trengen. Lorelei se demanda comment elle en était arrivée là, mais avec le débit qu'elle avait, elle avait bien du passer en revue tous les sujets de conversation possibles pour sa petite tête de grenouille:

-Elle ronfle, le saviez vous? Pauvre femme, c'est inélégant au possible! Hihihi! Et elle a des flatuances également! Oh, je ne devrais pas vous le dire!

Lorelei soupira et dit, excédée:

-Eh bien ne le dites pas alors!

Mais la duchesse ne l'écoutait pas, elle continuait inlassablement, comme une machine lancée:

-Quelle bêtasse en plus! Et mariée à un homme si charmant!

Lorelei sourit: charmant, traduire: riche à millions, j'aimerais bien être sa maitresse mais il refuse parce qu'il aime sa femme ou pire, parce qu'il me trouve grossière...

Irina eut une soudaine envie de son montrer très grossière. Elle se contint un moment, admirant presque la Tsarin d'endurer aavec autant de patience les âneries du clown qui faisait conversation toute seule.

A sa réplique sur les prussiens, elle avait faillit exploser. Pourquoi diable se retenait-elle? Elle se serait débarrassée de l'enquiquineuse une bonne fois pour toute, et le tour aurait été joué. Mais non, il fallait qu'elle la laisse les saoûler de paroles. Le coup tomba, mais un peu plus tard.

- Une bêtasse Madame? Alors vous devez vous entendre à merveille! repliqua-t-elle avec une pointe de naiveté dans la voix, puis elle se tourna vers la Tsarin. Lorelei, et si nous sautions quelques haies que vous me montriez les exploits de Traum et qu'elle puisse se mesurer à Kuolema. La compagnie ici commence à se faire un peu trop vulgaire et je crains de mourir d'ennui à voir toutes ces Dames s'écouter parler comme si cela pouvait vraiment vous interresser. SOuhaitez-vous nous accompagner, Duchesse? finit-elle par demander sans crainte, sachant parfaitement que cette dernière aurait préféré manger des blattes au petit-déjeuner plutôt que de risquer de mettre à mal la coifure obscène pour laquelle elle avait dormi assise toute la nuit.

Irina savait qu'elle jouait gros. Lorelei était peut-être intelligente, mais elle n'en n'avait pas moins un rang à tenir. Comme lui avait fait remarquer la petite courge des écuries, elle n'était que fille de vicompte et elle n'avait pas les mêmes obligations que les autres dames de la noblesse. Au seul souvenir de cette conversation, elle se raidit. Pour une Tsarin, chevaucher avec une fille de si basse noblesse n'était pas vraiment conseillé, mais l'ennuie était tellement profond qu'Irina ne se serait même pas vexée d'essuyer un refus. Elle avait beau se moquer des convenances, elle savait quand elle risquait d'offencer la moitié des dames de la cour.

Lorelei sourit à Irina: quelle femme fantastique, elle se sentait parfaitement en phase avec elle. Si Irina n'avait pas réagi, elle l'aurait fait. Une conversation aussi stupide, elle n'aurait jamais cru ça possible. Même à Versailles, c'était dire! Au moins, les pintades françaises avaient un soupçon d'esprit: rien à voir avec la crétinerie bien enracinée dans cette femme grossière. Elle se tourna vers la duchesse. Elle la foudroya de son rire ironique et la sentence tomba, comme un couperet:

-Ma chère , je crainds que vous ne soyez, en effet, tout ce qu'il y a de plus vulgaire. Vous ne m'adresserez désormais plus la paroles, à moins d'avoir acquis un minimum d'intelligence. Mais vous savez ce qu'on dit à propos des vieux singes...

Puis elle se détourna, ouvertement méprisante. Elle sourit de nouveau à Irina:

-J'en serais enchantée!

La duchesse était soufflée, elle ne pouvait que pousser des "ho, ho, ça alors! Ho, ho!" qui la rendaient encore plus vulgaire et stupide, ce qui n'était pas peu dire. Lorelei n'était pas méchante d'ordinaire, mais elle avait passé bien trop de temps à faire et dire ce qu'elle devait. Elle voulait vivre à présent, et comme elle l'entendait.
Elle poussa Traum à partir au trot puis au petit galop et enfin au grand galop. A cet instant, le cheval de la duchesse, qui était à côté de Traum, se libéra de l'étreinte de sa cavalière: elle avait lâché les rênes de stupeur et il partit au galop, n'importe comment, comme lui en avait envie. Elle poussa des hurlements de pintade qui devaient s'entendre jusqu'à Versailles. Elle se prit plusieus branches en peine figure, incapable de maîtriser son cheval. Puis elle finit par tomber en s'écrasant au sol d'une façon très cocasse. Elle avait de la terre partout, sa robe était complètement déchirée et ses cheveux, n'en parlons pas! Pleins de branches, pendant lamentablement en touffes sales. Elle n'avait vraiment pas fière allure, c'est à dire q'elle était encore plus laide et ridicule qu'auparavant, ce qui n'était pas peu dire. Sa robe déchirée laissait voir deux grosses cuisses et presque l'imposante poitrine...

Pour la première fois depuis le début de ce rassemblement, Irina eut un large sourire. La réaction sans ambages de Lorelei, le saut périlleux de la Duchesse, et le galop de Kuolema, tout se conjugait pour la mettre de bonne humeur.

Lorelei et elle mirent donc une bonne distance entre elles et le poupées de sucre et de mauvais goût. Irina ne pouvait qu'admirer la grace et l'élégance de Lorelei et Traum. Elle n'aurait jamais pensé qu'une femme sachant si bien danser pourait être aussi bonne cavalière. La Tsarin avait un air déterminé qui lui donnait encore plus de chien. Cette femme était pleine de ressources, et elle aimait cela.

- Diable, comment fais-tu pour supporter tout cela depuis ton arrivée? A ta place, j'en aurais déjà mis à mort une demi-douzaine!

Irina c'était mis à tutoyer Lorelei avec autant de naturel que la situation l'exigeait. Pourquoi se servir du "nous" alors que tout autour d'elle était ) présent simple et sans fard?

Yulian arrive à cet instant, à cheval également. Il voit le superbe vol plané de la femme pleine de dentelles. Il éclate de son rire enfantin et inconscient avant de se dire qu'il faut aller l'aider. Elle s'est peut-être fait mal... Lorsqu'il arrive sur le lieu du "drame", Yulian réfrène un autre éclat de rire: la scène est vraiment trop grotesque! Une grosse femme à moitié nue empêtre dans ses dentelles, sale à hurler de rire qui mugit comme une vache! Mais Yulian est gentil, il descend de cheval et tente de relever le cachalot échoué:

-Madame, vous pouvez vous lever?

Pour tout salaire, il reçoit des coups de pied violents et des coups de poings par centaines. Une vrai scène de comédie. Surtout que Yulian doit faire la moitié du poids de la dame..

-Mais Madame, j'essaye juste de vous aider! dit Yulian entre deux coups de poings.

Mais la furie s'acharne:

-Goujat, goujat! Ho, ho!!! Rustre! Pervers!

Yulian recule, hésitant entre la frayeur et les éclats de rire.

Lorelei sourit et cria, pour qu'Irina puisse l'entendre malgré le bruit des sabots et de l'eau des fontaines:

-Elles ne sont pas toutes comme cela et heureusement! Parce qu'effectivement, c'est un coup à décimer les salons!

Elle partit d'un grand éclat de rire:

-Je crois bien que nous ne la reverrons plus de siôt en promenade! Si elle survit à la honte, bien entendu! Tu as vu comme elle s'est écrasée à terre! Un moment de pure anthologie, à n'en point douter! Il hantera mes rêves les plus doux, à l'avenir! Une vraie caricature! Pour une dinde qui se prenait pour un paon, c'est une sacrée déconvenue!

Lorelei aussi avait tutoyé Irina, elle ne voyait pas popurquoi elle aurait gardé la distance et la froideur du "vous" avec l'une des seules femmes naturelles de cette Cour!
Elles galopaient toujours, plus rapides que le vent. Et elles sautaient les obstacles, rondins, barrières,... au fur et à mesure. C'était un sentiment d'ivresse intense, fantastique qui faisait oublier toute réalité pour plonger dans un monde aux contours flous et où n'existaient plus que soi, le cheval et l'harmonie de faire corps ensemble.

Yulian regarde les deux femmes qui galopent avec élégance disparaitre bientôt. Le cachalot mugit toujours, étalée dans ce qu'il reste de ses dentelles et de ses soies:

-Mais rattrapez mon cheval, triple imbécile!

Et Yulian se rebelle: il n'est pas valet, que diable!

-Non Madame, allez-y seule, courez lui après si ça vous chante, qui sait, à votre vue, il sera sûrement tétanisé de frayeur!

Il est gentil, Yulian, souvent dans la lune, mais il ne faut pas trop lui macher dessus, malgré son air doux, il cache en lui la furie du tigre.
La grosse duchesse de relève, soufflée. Elle est toute rouge, essouflée, sale et sortie de se vêtements, elle hurle:

-Savez vous bien à qui vous parlez? Je vous interdis...

Mais il ne la laisse pas finir:

-Madame, je vous en prie, vous êtes d'une indécence à faire rougir un soldat!

Il désigne sa grosse poitrine à présent entièrement découverte, qui s'offre la vue de tous, ce qu'elle n'avait pas remarqué, dans sa fureur. les autres dames pouffent en feignant l'indignation: nul doute que demain, elle fera l'objet de tous les ragots et de toutes les moqueries.

-Je ne pourrais en supporter davantage, je ne suis pas peintre, fort heureusement! Que nous montrerez vous ensuite, votre imposant derrière? Je préfère partir avant!

Il saute sur sa jument et file en direction du palais, essayant d'oublier cette vision d'horreur...

Elle galopèrent un long moment, côte à côte autant que leurs chevaux le leur permettaient, la promenade de santé se transformant presque en une course de vitesse et de plaisir. Traum et Kuolema se mesuraient presque, aucun des deux ne semblaient vouloir se laisser distancier par l'autre, mais Irina ressentait plus cela comme un jeu que comme un vrai affrontement. Le seul vrai rival de sa jument était le cheval de son frère, et elle devait s'enuyer de lui.

Cela conforta Irina dans l'idée que les plus beaux endroits du château étaient ces espaces qui n'étaient pas entretenus par l'homme. La nature sans contrainte, sans autres règles que celles qu'elle s'était fixée. Vivant sa vie à son propre ryhtme, sans hypocrisie, sans faux semblants.

*Artur arriva sur cet entre-fait. La vision de la duchesse dans une poture aussi ridicule lui arracha un sourire moqueur qu'il aurait été vain de dissimuler. Voyant les deux femmes passer au galop devant lui, il se dit qu'il aurait aimé avoir un cheval... Il leur aurait tenu compagnie. Il fallait qu'il en retrouve un rapidement.*

Les deux cavalières arrivèrent auprès d'une rivière et elle firent une petite halte. Les chevaux en profitèrent pour s'y abreuver, et Irina pour s'aperger le visage d'eau. Elle commençait à sentir la fatigue l'envahir tout doucement. Cette bonne fatigue qui témoigne de l'entretient du corps et de l'esprit et celle qu'elle pouvait endurer des jours sans flancher. Après quelques étirements, elle se retourna vers Lorelei.

- Ca, c'est ce que j'appelle une promenade!

Elle repensa une seconde à l'ennuie dont elle aurait été victime si la Tsarin avait été du même acabit de ces gourdes en robes longues et remercia le ciel.

- On a déjà dû te poser la question des milliers de fois, mais avec cette nouvelle vie en Russie, la Bavière ne te manque pas trop? Est-ce que Saint-Petersbourg est à ton goût?

Pour Irina, la terre où l'on était né était celle qui nous définissait le mieux, celle où, si l'enfance n'était pas trop difficile, on avait le plus d'attaches.

Lorelei sourit, elle était légèrement essouflée de sa course mais ravie. Enfin une partenaire de promenade digne de ce nom! Enfin une femme digne de ce nom! Elle appréciait de plus en plus la cour de Russie, finalement. Et lorsqu'Irina lui parla de la Bavière, elle se dit qu'en plus d'être une excellente cavalière, elle était perspicace.

-La Bavière m'a énormément manqué tout a long de mon premier mariage. Cologne est une ville froide, guindée, où chacun s'épie et où personne ne se parle. Tandis que la Bavière est beaucoup plus dans l'esprit "campagne". Vous comprenez? Les vastes étendues sauvages, les gens sympathiques, les tenues décontractées, les promenades,... Je ne me suis jamais faite à Cologne. Un endroit gris et humide, à tous points de vue. Et quand je suis arrivée ici, j'étais nostalgique également. Une question d'habitude, d'accoutumance à ce sentiment gris, je suppose. Mais le gris a vite repris des couleurs! Cette cour est vivante, enjouée et on y rencontre des gens très fréquentables. Je n m'ennuie plus e la Bavière, cet endroit vaut bien celui de mon enfance, il le surpasse même sûrement! Mais enfin,cela fait des années que je n'ai vu la Bavière! On embellit tout avec le temps! A la réflexion, je ne crois pas avoir été si heureuse que cela, là bas! Moins malheureuse qu'à Cologne sans doute. Et puis, je manquais de point de comparaison! Mais à présent que j'en ai, Cologne, Versailles, Saint Pétersbourg, je crois que Saint Pétersbourg peut prétendre au titre de la cour la plus agréable!

- Je suis heureuse pour toi alors. Cela ne doit pas être facile de s'habituer à un nouvel endroit... Surtout étant donné les circonstances.

Irina était toujours un peu mal à l'aise avec les circonstances qui avaient amené Lorelei à Saint Petersbourg. Et elle en pouvait qu'admirer cette femme qui malgré son marriage arrangé, lutait pour prendre sa place dans un nouveau décors.

- Il est vrai que la cour ici me semble beaucoup plus tolérante qu'ailleurs en Russie. Certainement l'influence du Tsar. Il passe pour un homme bon et à l'esprit ouvert. Et puis, il est vrai qu'avec tout ça, fit-elle en étendant les bras dans un geste grandiloquent pour désigner la campagne qui les environait, on peu toujours trouver une façon de sortir du carcant des convenances...

Lorelei sourit:

-Oui, je crois que c'est dans la nature que j'ai toujours trouvé du réconfort, quand ça n'allait pas. Parce que tu sais en la regardant que dans la nature, ces problèmes n'en sont pas, qu'ils n'existent pas. Et tu te dis qu'il y a un endroit où finalement, toi aussi, tu peux les oublier. Et que ce qui te parait injuste mais est juste dans la société n'a pas de cohérence dans ce lieu si bien en accord avec tes sentiments. Tu te sens comprise, en quelques sortes... C'est la raison pour laquelle Cologne a été une vraie torture: la nature était rabougrie, inexistante et grise... Pas de réconfort non plus de ce côté là... Mais je ne vais pas m'appitoyer, je suis ici à présent et je peux dire que je n'ai pas perdu au change, même si le statut de veuve me plaisait beaucoup... Il me donnait une certaine indépendance.

- Je sais que je ne pourrais pas vivre entre quatre mur, sans pouvoir prendre l'air, sentir le solei et le vent sur mon visage... Ce serait comme mener une demi-vie.

La définition de la nature qu'avait donné Lorelei était poignante dé vérité. La simplité et l'aspect sauvage remettaient les choses à leur place respectives.

- Il est vrai que rares sont les statuts qui offrent autant de liberté aux femmes que celui de veuve...

Irina pensait qu'il équivalait presque à celui de femme stérile, cette malédiction qui la rongeait mais qui était son passe droit vers la liberté.

- Et tu as de la famille? Je veux dire, des frères et soeurs, des enfants de ton premier marriage? Des personnes à qui tu tiens et que tu as dû abandonner derière toi?

Lorelei sourit:

-Non, je suis seule. Pas de fères, pas de soeurs, des parents qui m'écoeurent et pas d'enfants non plus. Mon ancien mari était bien trop vieux. Et ce n'est pas plus mal comme ça. J'aurais eu du mal à élever des enfants dans un endroit si désespérant de mornitude et de grisaille. Mais et toi, dis moi? Qu'as-tu fait avant d'arriver ici? Je parle de moi mais je ne sais rien de toi encore!

Et elle avait envie de l'entendre parler de sa vie. Elle savait que c'était la seule façon de connaitre réellement quelqu'un.

Comme cela lui arrivait souvent depuis quelques jours, Irina eut un sourire amer.

- Je viens de l'est de la Russie, du côté de Irkoustk. Mon père est vicomte, et je suis venue ici pour votre mariage au Tsar et à toi. Irkoustk a ce côté vaste, sauvage, boisé que j'aime. J'ai du passer la plupart de ma vie dehors à jouer avec mon frère, puis à monter à cheval. Jusqu'à mes dix ans, cela a plutôt gêné ma mère, mais ensuite, elle s'est totalement désinterressée de moi.

Irina marqua une pause. Une longue pause. Lorelei avait été honête avec elle, et elle se dit qu'elle pouvait lui faire confiance. Après tout, ce secret n'en était pas vraiment un même si sa mère ne le criait pas sur les toits. Irina n'en parlait jamais, mais elle estimait que Lorelei avait le droit de savoir.

- En fait, la vérité, c'est que c'est là que ma mère s'est rendue compte que je ne serais jamais bonne à marier, non pas parce que j'étais trop indépendante, mais parce qu'il était évident que je ne concevrais jamais d'enfant.

Irina prit une profonde inspiration.

- Mais bon, après avoir subi le mépris de ma mère, j'en ai pris mon parti. J'ai réalisé que c'était la porte ouverte à la liberté. C'est pourquoi je n'ai plus lâché Iriney d'une semelle, profitant de tous ses cours depuis l'équitation jusqu'à l'escrime en passant par la politique. Iriney et moi sommes jumeaux, et on a toujours été énormément proches. Il y a des jours je me dis que c'est le seul à me comprendre... Et aujourd'hui, ma mère cherche à le marier, chose impossible si je suis dans les parages... Cela me rempli de désespoir, tu n'imagines même pas!

Elle avait tout dit à Lorelei. Trop dit? Peut-être... Mais elle lui faisait confiance. Et puis, que risquait-elle? D'être chassée du palais?

Lorelei eut la tentation de la plaindre, de lui dire "Ma pauvre amie", mais elle se retint à temps. Non pas parce qu'elle n'avait pas envie de témoigner son soutien à Irina, mais parce qu'elle savait d'expérience que la pitié n'aidait jamais personne et même enfonçait dans un sentiment confus de malaise et de honte. Elle sourit donc:

-Eh bien, nos vies sont différentes, mais je crois qu'il y a un trait commun à en dégager, et il n'est pas acceptable: les femmes en ce bas monde n'ont pas le droit au bonheur, ou plutôt si, mais à un bonheur cadré, que l'on définit pour elles. Si elles cherchent leur propre bonheur, on cherche à les anéantir. Tu es une femme indépendante, Irina, et c'est ce qui ennuie tout le monde, les hommes qui ont créé les cadres pour enfermer les femmes, et les femmes qui sont tellement enfermées qu'elles sont jalouses ou choquées. Qui a dit qu'une femme, pour être heureuse, devait impérativement avoir des enfants? Et être mariée? Maintenant, voici ma proposition: si ton frère veut venir à la Cour de Russie, il y sera le bienvenu. Je ne sais pas s'il lui sera possible de venir, mais sinon je peux demander au Tsar de lui commander de venir, s'il en a envie bien entendu. Ta mère n'aura rien à dire dans ce cas.

- La proposition est très tentante, trop même. Mais j'ai peur d'être pour une fois d'accord avec ma mère... Et tu n'imagines pas à quel point cela me chagrine, mais Iriney ne peut pas fermer sa aux femmes sous-prétexte qu'il doive veiller sur moi. Il a droit de trouver quelqu'un de stable avec qui passer ses jours. Je ne peux pas jouer ce rôle, ce n'est pas... convenable, correcte, sain, ce n'est tout simplement pas dans la nature des choses.

Irina se heurtait une fois à ses sentiments beaucoup trop forts pour son frère.

- Pour moi non plus. Cela ne nous fait pas de mal de vivre loin l'un de l'autre... mais ce que je redoute, c'est de rentrer chez moi pour trouver Iriney marié à une gourde. Elle battent la campagne, et ma mère n'a que faire de l'esprit ou des sentiments de mon frère. Elle se contentera de la plus riche d'entre elles... Il y a un équilibre entre trouver quelqu'un d'aussi indépendant que moi, et une sombre idiote.

Elle regarda autour d'elle non sans éprouver une certaine satisfaction. Pour finir, cet endroit n'était pas si mal...

- Et Saint Petersbourg m'a tout l'air d'être le nouveau départ que j'attendais... si j'arrive à me maitriser assez pour ne pas provoquer s'esclandre.

Lorelei éclata de rire:

-Eh bien je crois que l'esclandre est déjà créé! Je pense que nous réentendrons souvent parler de la promenade d'aujourd'hui! Mais surtout, ne change pas, c'est très bien ainsi! Je ne crois pas qu'une Cour saine et joyeuse soit une Cour sans heurts! C'est une Cour hypocrite, dans ce cas! Parce que ls heurts et les esclandres sont inévitables en société et ils garantissent le bon fonctionnement de celle ci! Des bases saines ne peuvent être consrtuites que sur du solide, du vrai, pas des mensonges qui conservent un semblant d'harmonie. Lorsqu'il faut mettre les points sur les "i", il le faut et la situation redevient ensuite plus respirable pour tout le monde! Pour ton frère, j'en prends note, si tu crois que cela est mieux ainsi, je te fais confiance. Mais la proposition tient toujours, si tu as besoin!