Life is wonderful

« Mourir, ce n'est rien. Commence donc par vivre.
C'est moins drôle et c'est plus long. »

La lumière décroît doucement au loin. Machinalement, je remonte mon châle sur mes épaules. Assise au bord de la rivière, le regard perdu dans le vide, j’attends que la nuit engloutisse la forêt. Le froid se glisse le long de mes jambes, me fait frissonner. La forêt est bien le seul endroit où je peux être seule. La solitude n’a pas de prix. Je bascule la tête en arrière, profite des derniers rayons de soleil avant de devoir retourner au château. Le parc est si grand que j’ai sans cesse l’occasion de me retrouver seule. Si seulement je pouvais partir... Partir loin. Découvrir d’autres contrées !
Au lieu de ça, je suis coincée ici. Entre les ragots et la future Tsarine, les commérages vont bon train. Dans les couloirs, on ne cesse de murmurer les rumeurs les plus folles. Si seulement les gens arrêtaient de se focaliser sur la vie des gens pour prendre en main la leur.

Je me laisse tomber en arrière. L’herbe est un peu humide mais le temps que je rentre au château, il n’y paraîtra plus. De plus, personne n’aura remarqué ma petite escapade. J’évite de me mêler au reste des domestiques. Le ciel bleu clair vire doucement à violet pâle qui tourne au bleu marine. Tant de couleur pour un simple ciel, tant de beauté dans un simple ciel.

Un sourire vient s’échouer sur mes lèvres. Personne à l’horizon, le moment est parfait. Juste parfait...

Ermolai allait malheureusement briser cette belle solitude. Il avait décidé de faire une promenade avec Kirill à l'aube. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pu monter son cheval (hj: le Kirill en question) à cause de sa blessure. Mais grace aux soins d'Anushka, il était guéri et Ermolai lui en était infiniment reconnaissant. Il avait emmené Gleb bien sûr, son chien, un immense chien gris autant chien de guerre que chien de chasse. Un excellent chasseur d'ours, d'ailleurs. Celui-ci fonça vers la demoiselle qui se trouvait déjà là. Ermolai savait que le chien ne lui ferait aucun mal, il était très bien dressé et n'attaquait que sur ordre exclusif de son maître. Mais un chien d'une telle taille pouvait effrayer. Il siffla et le chien revint immédiatement, malgré son envie évidente d'aller voir la jeune fille. Ermolai arriva à sa hauteur et dit, essayant de ne pas paraitre trop "bout de glace" (il savait qu'il fisait cet effet là, souvent):

-Bonjour! J'espère que mon chien ne vous a pas fait peur?

"It takes no time to fall in love, but it takes you years to find what love is"

Allongée sur l’herbe, j’entends des bruits de pas. Une seule personne, accompagnée d’un chien. Je ne me relève pas, j’espère simplement que cette personne passera devant moi sans me voir. Je n’ai pas envie de discuter. Le ciel est si joli ce soir.
Pourtant, le fameux chien en question se précipite vers moi et avant qu’il ait eut le loisir de me renifler, son maître le siffle. Ah, pour une fois qu’un chien obéit au doigt et à l’oeil ! Je referme les yeux, espérant que le maître s’éloignera. Mais il n’en est rien. Lasse, j’ouvre les yeux. Un homme se tient devant moi. Un gradé au vu de l’uniforme. Très très gradé d’ailleurs. Ses grands yeux verts me glacent sur place. Personne ne peut avoir un tel regard... si ?!

– Bonjour ! J’espère que mon chien ne vous a pas fait peur ? demande-t-il.

Je me redresse doucement avant de m’incliner. Gardant la tête baissée vers le sol, je réponds :

– Pas le moins du monde, Monsieur. J’espère ne pas vous avoir dérangé.

S’excuser est la meilleure des solutions. Je me suis souvent faite avoir à mon arrivée. Montrer le plus grand signe de respect est la meilleure des solutions. Et puis, au moins, il me laisse tranquille par la suite.
Un brin d’herbe tombe devant mes yeux. Oups ! Je dois être dans un bien piètre état. S’il ne me chasse pas d’ici en pensant que je suis une vagabonde, j’aurais bien de la chance !

Ermolai secoua la tête:

-C'est plutôt moi qui vous dérange!

Il descendit de cheval, bien déterminé à discuter avec la jeune fille étrange qu'il venait de rencontrer. Une nymphe des bois peut-être? Une divinité sylvaine en tous cas, drappée dans son manteau de forêt.

-Je m'appelle Ermolai, Ermolai Valavski. Et vous? A qui ai-je l'honneur?

Ermolai sourit: la timidité de cette jeune fille ajoutait encore à son charme tanquille.

-Mais non, ne vous excusez pas! Il n'y a pas de malentendu, je ne vois pas ce que mon nom change dans l'affaire! Par contre, je ne crois pas que vous m'ayez donné le votre? Je serais pourtant ravi de le connaitre.

Ermolai savait qu'elle n'avait pas donné son nom sciemment, pour rester anonyme. Mais pas de chance, il était décidé à savoir qui était la belle demoiselle qu'il avait en face de lui et qui essayait de se dérober à ses regards. Il savait bien que ses yeux mettaient souvent mal à l'aise, mais ce n'était pas sa faute s'ils étaient si verts, si perçants! Il s'approcha de la jeune fille et la fixa, ses yeux dans les siens. Il répéta doucement sa question, éteignant le vert de la forêt qui faisait pâle figure à côté du vert si profond de ses yeux:

-Comment vous appelez-vous?

Il la fixerait ainsi jusqu'à avoir sa réponse. Il ne savait pas pourquoi il insistait ainsi mais ce qu'il savait, c'était qu'il ne pouvait repartir sans avoir sa réponse.

Tenace l’Ermolai !

– Comment vous appelez-vous ? me redemande-t-il.

Il plonge son regard dans le mien. Le contact est électrisant. Je me relève enfin, il ne me quitte pas du regard. Pourtant, je suis obligée de lever la tête pour le regarder. Qu’importe. Je m’éloigne d’un pas, en vient à sourire.

Il peut s’acharner autant qu’il le désire, je ne lui donnerais pas mon nom.

– Au revoir Monsieur, j’espère que vous profiterez bien de cette fin de journée.

Je fais demi tour et m’éloigne d’un pas pressé, sans cesser de sourire.

Ermolai l'aurait bien suivie, mais pourquoi? Il ne la connaissait pas et il allait lui courir après? C'était légèrement incongru... Il se promit de la retrouver, dut-il mettre tout le château sans dessus dessous. Elle n'allait pas disparaitre, non, cette belle Cendrillon!? Enfin, il l'espérait bien...