Arrivée attentude

Gauvin entra dans les cuisines, son nouveau royaume. Il avait reçu un pli du tsar, quelques semaines auparavant. Il avait à peine réfléchi: le temps de faire ses bagages, de boucler le reste, et il avait pris le départ, seul avec son cheval, son chien et une espèce de roulotte traînée par deux chevaux de trait et qui contenait sa vie. La France, c'était fini. Bonjour Russie. Il en avait assez de la Cour française et de son étiquette ridicule, il en avait assez des courtisans prétentieux et du roi vieillissant. Il avait vu tout ce qu'il y avait de mieux en France, et il était persuadé qu'il trouverait plus à son goût ailleurs. Et pourquoi pas en Russie, le pays de ses rêves. Il avait vécu, jeune, à moitié chez lui, et à moitié chez des artisans russes expatriés. Il connaissait la langue depuis tout petit et se souvenait avec nostalgie des contes et légendes que lui racontait Maria, pour l'endormir. Elle lui avait parlé aussi des plaines recouvertes de neige en Sibérie et de Saint Pétersbourg, la ville impériale. Et depuis ce temps là, la Russie avait revêtu les couleurs chatoyantes du rêve de l'enfance, c'était resté chez lui comme une porte mal fermée. Et qui s'était rouverte, subitement, alors qu'il n'y avait apparemment pas de raison. Il avait une bonne place à Versailles: il dirigeait les cuisines. Mais le coeur n'y était plus. Alors il s'était envolé vers le pays des oiseaux, et c'était bien comme ça. Quand la vie vous offre un cadeau, c'est ridicule de le refuser. Il avait l'impression étrange de rentrer chez lui, un chez lui qu'il n'avait jamais connu qu'en rêves.

*Schmuel entra dans les cuisines, sans regarder autour de lui, perdu dans ses pensées, qui tournaient, à ce moment là, autour du repas du soir, qui se devait d'être grandiose étant donné la situation... Il n'aimait pas travailler dans l'urgence, il n'aurait pas le temps de rechercher les ingrédients qui ne manqueraient pas de manquer à ses recettes et cela le rendait nerveux. Il était tôt le matin, et pourtant il savait que la journée serait à peine suffisante pour préparer le "petit souper" que le tsar voulait donner en l'honneur d'un arrivant de marque, un ambassadeur venant d'Espagne. Alors, perdu dans ses pensées angoissées, il sursauta violemment lorsque son regard se posa sur un homme très grand. Mon Dieu, mais qui était donc ce géant? Après quelques secondes d'hésitation entre la fuite précipitée, l'appel aux gardes et le courage de demander son nom à l'inconnu, Schmuel se demanda tout à coup s'il ne s'agissait pas là du grand cuisinier français dont le Tsar lui avait annoncé l'arrivée imminente une semaine auparavant. Ne voulant pas risquer de se mettre mal avec lui dès le premier jour si c'était bien lui, il resta à bonne distance mais dit avec courtoisie:*

- Bonjour! Je suis Stepan Pushkin. Et vous êtes..?

Gauvin sortit de ses pensées instantanément en entendant parler russe, pour la première fois par une voix masculine. La seule à lui avoir parlé cette langue, jusque là, c'était Maria. Et il était heureux enfin, d'être dépaysé.
Il sourit à celui qui était entré, de son sourire surpris et engageant:

-Gauvin Blanc. Enchanté, monsieur Pushkin. Je crois que nous allons travailler ensemble. Je viens de Versailles.

Puis il s'excusa, craigant d'avoir été grossier en entrant dans les cuisines sans y avoir été invité. Son interlocuteur paraissait vaguement crispé:

-Je ne savais pas où vous chercher, sinon, je ne me serais jamais permis d'entrer sans vous en parler d'abord.

Il tendit sa main en direction de Stepan, dans un signe d'apaisement amical. Il savait combien c'était difficile, quand on avait été seul capitaine à bord, de faire de la place à un second. Il ne voulait pas créer un climat de tension dès la première rencontre.

- Il n'y a aucun problème, je vous en prie, faites comme chez vous! Vous avez bien fait d'entrer, de toute façon, tout le monde vous le dira, cette cuisine est un vrai moulin, tout le monde y entre, y parle,... Vous vous rendrez vite compte qu'on en apprend plus ici que n'importe où ailleurs dans le château.

*Quand il se remémorait les discussions qui avaient eu lieue ici, il se disait que les murs devaient avoir une connaissance plus précise de la Cour de Russie que le Tsar lui-même. Ils avaient vus la joie, avec l'annonce des fiançailles de Vlad et Anushka, ils avaient vu l'angoisse, avec les complots d'Aleksandr dont on parlait à voix basse, ils avaient vu la peine, avec les morts successives des deux tsarins et du tsar,... Ils verraient sans doute encore bien des choses, bien après même que lui soit mort. Il en ressentit une brusque poussée de nostalgie mêlée d'une vague plus forte, celle de l'espoir de la renaissance qui s'annonçait et à laquelle ils allaient contribuer pas plus tard que le jour même, lui et ce nouveau chef dont on lui avait tant vanté les mérites. Cette cuisine serait un élément majeur du maintien et du soutien dont le jeune tsar avait tant besoin.*

- D'ailleurs, je suis vraiment enchanté de vous voir de si bon matin, soulagé aussi pour tout vous dire! Un bon accueil serait de vous montrer le château, mais je crains que nous devions reporter cet élément de courtoisie élémentaire pour le moment... Que je vous explique, nous attendons pour ce soir un ambassadeur d'Espagne. M'est avis que la missive a trainé exprès, dans le but de nous surprendre et de jauger ainsi de la puissance politique de notre Empire. Autant vous dire que nous avons une très lourde responsabilité, celle de préparer le souper "sans chichis" de l'ambassadeur. Autant dire qu'il va falloir atteindre la perfection.

*Il ne précisa pas que le souper serait une pierre angulaire, même si l'ambassadeur venait avant tout pour jauger de la puissance du nouveau tsar et non de ses cuisines, ce serait un indice auquel il ferait attention. Un bon tsar s'entourait d'un personnel impeccable. C'était évidemment une analyse politique décisive pour la préparation du repas, mais au regard et aux mimiques de Gauvin, Schmuel savait que le cuisinier en était arrivé immédiatement à ces conclusions. C'était un homme ayant vécu dans une des plus grandes Cours du monde, il connaissait par coeur ce genre de rengaine et cela était un nouveau bon point pour lui, nul doute qu'il serait un associé précieux.*

hj: il dit "sans chichis" en français

Anushka était en retard, on était toujours en retard lorsqu'un tel repas trônait sur les épaules de Shmuel. Elle entra donc en trombes dans la cuisine, sans faire vraiment grand cas de ce qui se passait autour d'elle. Attraper un tablier, se laver les mains et trouver son chef afin de savoir de quelle façon être la plus efficace le plus rapidement possible.

- Anushka au rapport mon géné...

Ce n'est qu'à la fin de sa présentation amicale sur le ton de la plaisanterie qu'elle réalisa que non seulement elle interrompait Shmuel dans une conversation qui semblait importante, mais qu'en plus son interlocuteur était un total étranger.

- Oups désolée.

Gauvin sourit: il arrivait à pic, donc. Rien de mieux que de commencer avec une urgence: ça montrait aux autres votre valeur et ça resserrait les équipes. Même si, apparemment, Monsieur Pushkin n'était pas du genre à avoir besoin de tester les nouveaux pour leur faire confiance. Mais lui-même aimait les urgences, et il était heureux de commencer sa carrière russe par un challenge. Cela faisait tellement longtemps qu'il s'ennuyait qu'un peu d'action était bienvenue.

-Parfait, avez-vous déjà prévu un menu?

Lui même avait bien des idées, mais il venait d'arriver, alors il préférait voir l'avancée des travaux avant de proposer. On ne s'impose pas si l'on veut garantir une bonne ambiance dans une équipe. Puis il vit entrer une jeune fille qui semblait bien connaître son interlocuteur. Il sourit à Annushka et dit s'inclinant à demi:

-Enchanté. Gauvin Blanc. Ne vous excusez pas, je vous en prie.

*Schmuel poussa un soupir de soulagement audible en entendant Anushka arriver. Il était heureux de voir que tout commençait plutôt bien. Aussi répondit-il à Gauvin sans stress dans la voix:*

- Non, je n'ai absolument aucune idée de ce que sera le menu, je viens d'apprendre à l'instant la nouvelle, sans quoi vous m'auriez trouvé ici bien avant, je le crains... Au stade où nous en sommes, j'accepte d'ailleurs d'en débattre avec quiconque aura une idée! Je n'ai absolument pas le temps d'y réfléchir, cela ira sans doute plus vite si nous nous y mettons tous! Mais je crois que nous aurons également de l'aide du côté des entrées ou du fromage, un autre chez cuisinier devrait arriver d'ici peu... Alors, la question qui fâche... Qui a une idée?

*Pour le moment, lui-même ne voyait se dessiner devant ses yeux qu'une perspective de dessert, comme toujours lorsqu'il était pressé par le temps. La pâtisserie était son affaire, et son esprit se bloquait là dessus lorsqu'il paniquait. Ce qui bien entendu était complètement inefficace, avant de présenter un dessert grandiose qui clôrait magnifiquement le repas, il fallait penser au repas en lui-même, qui déciderait l'ambassadeur à rester à table... Avant de clôre un repas, il fallait le commencer...*

Gauvin hocha la tête et fit part de son étonnement à voix haute:

-C'est très étrange, un diner officiel prévu si tardivement...

Puis il haussa les épaules:

-J'ai bien une idée en ce qui concerne ma spécialité: je pensais à du cerf avec une sauce forestière, des pommes de terre roses, des truffes, du chou rouge et des bettraves, tout cela aggrémenté de quelques tranches de cerf fumé et de fritures de légumes. Pour le reste, je ne suis pas un spécialiste...

Il sourit:

-Ce sont juste des suggestions, bien entendu. Mais je me propose de chasser moi même les cerfs. Avec mon chien, bien entendu. Qu'en dites-vous?

Puis il se ravisa:

-Que diriez-vous si nous nous tutoyions? En russe comme en français, je suis assez mal à l'aise avec les formules de vouvoiement.

hj: trop beau, le nouvel avatar de stepan!

C'est la première fois que je travaille aux cuisines du Palais aujourd'hui. Je ne pense pas être en retard mais je presse tout de même le pas histoire d'être sur. J'arrive en face et rentre sans prendre le temps de frapper à la porte. A mon grand étonnement, il y a déjà de nombreuses personnes à l'intérieur, trois pour être précis. Je connais déjà Stepan, c'est lui qui m'a embauché mais les deux autres me sont totalement inconnus.

- Bonjour, moi c'est Stijn.

J'avais dit ces mots pour l'autre homme et la jeune .

-Et moi Gauvin, enchanté.

Gauvin se dit que les cuisines se remplissaient, et que c'était bon pour le travail d'équipe. Le nouveau venu avait l'air bien sympathique. Et il sentait qu'ils allaient faire du bon travail, ensemble. L'ambassadeur n'avait qu'à bien se tenir.

- Ah, c'est génial, tu es là! Je ne savais pas quand tu arriverais exactement. Le coup de feu est rude, il nous faut préparer un repas d'exception à un invité de dernière minute, un ambassadeur d'Espagne. Etant donné qu'il a du mettre des semaines à arriver, je pense que le fait que nous soyons prévenus à la dernière minute est voulu. Nous devons montrer nos capacités à nous adapter, prouver que l'Empire est toujours fort. Bon, bien sur, le repas ne sera pas le seul élément, mais à ses serviteurs on reconnait un bon Tsar, n'est-ce pas?

*Il réfléchit une demie seconde pour le tutoiement et dit:*

- Je suis d'accord, ne nous encombrons pas des formules de politesse d'usage, tutoyons nous!

*Puis il prit plus de temps pour réfléchir au menu.*

- Eh bien, je dois dire que ça m'arrange plutôt, en fait, que tu veuilles chasser la bête, parce que bon, nous n'avons pas eu de chasse depuis longtemps, et par conséquent, le gibier manque aux menus en ce moment. C'est une bonne idée d'ailleurs, à ce sujet, l'ambassadeur sera surpris de trouver du gibier dans son assiette, la chasse à cour étant un luxe que nous ne sommes pas sensés pouvoir nous permettre étant donné la situation en Russie. ça bluffera tout le monde. Tu as libre champ pour le corps du repas, tu trouveras ce qu'il manque au marché de Saint Petersbourg, quand tu voudras, je t'y accompagnerai pour t'y faire rencontrer les gens qu'il faut que tu connaisses. Toi aussi d'ailleurs, Stijn! Ici comme partout, il y a des gens à avoir de son côté pour obtenir ce que l'on veut...

*Il pensait évidemment à Denis, mais pas seulement. Les bons marchands de nourriture étaient rares à Saint Petersbourg et la cuisine du tsar ne devait contenir que le meilleur!*

- Stijn, nous en étions à discuter du menu! As tu une idée? Pour l'entrée peut-être?

- J'ai une idée pour l'entrée, et le fromage, ce sera selon ce que l'on trouvera parce qu'ici, en Russie, on ne trouve pas toujours tout ce que l'on veut à ce niveau. Pour l'entrée, je pense à une "entrée mexicaine". Ca lui rappellera des saveurs de chez lui sans pour autant qu'il en ait déjà mangé, cette recette vient en réalité de chez moi, mais Mexicaine car les saveurs sont celles du nouveau monde. Pour ca, j'ai besoin d'olives, d'épices genre piment, d'avocat si on en trouve, d'un fromage, peu importe lequel, de crème et de citron. C'est assez simple à faire et ca fait des merveilles.

Je regarde Stepan et lui demande.

- Tu connais Sergueï ? Un des commercants de Saint Petersbourg ? Là bas tu trouves toujours quelques choses, et parfois même il pourrait te donner des idées.

- Le bar de Denis est un véritable paradis sur terre, je dirais, et ce à tous niveaux.

Evidemment, Gayvin ne peut pas comprendre ce que nous entendons par là mais dès qu'il ira il saura ce que nous voulions dire aujourd'hui. Je me demande si la jeune fille connait le rat d'égouts.

Anushka hocha distraitement de la tête en direction de Gauvin, puis de Stijn. Du sang neuf dans les cuisines, c'était vraiment ce dont ils avaient besoin. Un changement d'horizon, d'idées, de goûts. Tout cela ne pourait qu'être bénéfique. Bon, cela voulait également dire s'adapter à d'autres façons de travailler, mais il y avait quelque chose de bon dans ce mouvement. Elle n'aimait pas la stase mortifère qui régnait de temps à autres par ici.

- Et moi Anushka, murmura-t-elle à l'intention de Stijn.

Les hommes une fois entre eux avaient cette fâcheuse tendance à refaire le monde. C'était bien. Et même si l'arrivée de cette huile espagnole n'était pas pour leur faciliter la vie, au moins, elle mettait de l'animation. Distraitement, elle se mit à préparer la cuisine pour le coup de feu, et à activer les commis divers et variés qui somnolaient. A la mention du Rat D'Egouts Lubrique, elle releva la tête. Il y avait des endroits dans St Pétersbourg qui chariaient leur part de mystère. Et certains plus que d'autres pour une femme. Pourtant, curieuse comme une chatte pleine et malgré la réputation de l'endroit, Anushka avait toujours rêvé d'y mettre les pieds.

- Vous savez que pour faire le plein des cuisines, je suis toujours volontaire. Une paire de bras est souvent la bienvenue...

Tout comme un point de vue féminin pensa-t-elle. Mais elle n'allait pas trop le crier sur les toits. Après tout, c'était leur cuisine.

Gauvin sourit: ça en faisait de l'animation, et ça changeait agréablement des cuisines de Versailles. Des idées fusaient de partout, et c'était très bon pour l'esprit de perfection qui devait régner à la table du tsar et de l'ambassadeur. On fait d'abord la guerre avec une fourchette, ce n'est qu'ensuite qu'on passe aux armes, il en était persuadé. Un ennemi se terrasse avant tout dans l'assiette. Règle immuable des grands empires. Si un repas pouvait être parfait au point de détruire la confiance en soi, alors il n'y avait aucun doute qu'on respecterait l'empereur capable de parvenir à tant de perfection. C'était une évidence claire et entière.

-Non, je ne connais pas Saint Pétersbourg, mais je serais ravi de visiter. J'aime bien boire une petite vodka, de temps à autre.

Oui, même en France il était fidèle à la vodka: ça avait bien plus de corps que le vin, n'en déplaise à certains puristes.
Il sourit à Anushka: une femme en cuisines, c'était la première fois qu'il voyait cela. En règle générale, elles s'occupaient du service à table. Mais il n'était pas du tout opposé à ce changement radical: il était bien persuadé qu'un point de vue féminin ne pouvait qu'améliorer la cuisine. Ce que bien entendu il n'aurait jamais avoué en France, pays de la femme soit disant, et des hommes conservateurs très certainement. Cela lui faisait plaisir de voir que la Russie était bien le pays des oiseaux qu'il avait imaginé. N'en déplaise à ceux qui parlaient de la guerre et de la jeunesse du tsar.

-Mademoiselle, auriez-vous également des idées pour le repas?

- за ваше здоровье!(hj: approximativement èa vaché édiorovié! A votre/ta santé)

*fit-il en levant une main vide comme s'il tenait un verre de vodka. C'était sa façon à lui de saluer une bonne parole et d'acquiesser.*

- Tu seras russe en un rien de temps, mon ami, tu parles déjà comme un Ruuse!

*La bonne humeur de Schmuel était revenue en même temps qu'était arrivé le renfort de troupes pour le repas du soir. Il se sentait beaucoup moins seul et sa motivation et son courage lui revenaient. Ils allaient y arriver et Artur serait fier d'eux.*

- Au fait, tu as rencontré le tsar, Gauvin, ou pas encore?

-Tu veux dire à propos de ma bonne descente de vodkas? Mais je suis un champion dans ce domaine. Et je suis content d'avoir enfin trouvé un compagnon pour boire. D'ordinaire, en France, on boit du vin. je dois être le seul buveur de vodka de Versailles.

Il sourit:

-Ce sont des paroles d'alcoolique mais j'assume. Je tiens très bien l'alcool fort. C'est une grande qualité.

il aiamait déjà Stepan, cuisiner avec lui allait être un plaisir. Echanger sur des idées, des méthodes, ça faisait longtemps qu'il en rêvait. En france, on obéissait ou on commandait, mais on ne discutait jamais. Être serviteur ou chef, il fallait choisir. Mais il n'y avait qu'un chef. Ici au moins, l'entente était cordiale. Et ce n'était pas si fréquent dans les cours d'Europe.

-Oui, je l'ai rencontré à mon arrivée, en coup de vent. C'est un homme occupé, mais qui a l'air charmant, rien à voir avec Louis XIV. Il me semble que l'ambiance ici est plutôt... Décontractée, hors étiquette si tu veux, malgré le récent drame.

Il n'était pas naif, il savait bien que tout n'était pas rose et que le pays se reconstruisait, mais c'était toujours mieux qu'un pays qui changeait de modes tous les jours deux fois par jour, selon l'humeur du roi... Il avait besoin de stabilité, il n'avait plus l'âge de jouer les jeunes coqs. Et pour survivre à Versailles, il fallait avoir les plumes sacrément chatoyantes et le bec particulièrement aiguisé.

Gauvin acquiesca:

-Je confirme. J'ai rencontré le tsar, et je peux t'affirmer qu'il est déjà bien plus sage que le roi de France. Mais j'imagine qu'un Empire de la taille de l'Empire russe ne se gouverne pas comme un petit pays comme la France.

Il avait entendu parler d'Aleksandr, et de son père, Nikolaï. Un homme bien, ce Nikolaï, mais trop sentimental: il aurait du tuer son fils, celui-ci n'avait pas fait autant de sentiments à l'égard de son père. Mais qui pouvait en vouloir à un père d'avoir épargné son fils...? Les sentiments humains nous perdent parfois, mais ce sont eux qui nous font avancer. Et si Nikolai avait été un si bon tsar, c'était aussi sûrement parce qu'il était humain, et donc faillible.

-L'ambassadeur d'Espagne n'a qu'à bien se tenir. Il repartira d'ici avec le sentiment de respect qui est du à cet Empire, j'en suis persuadé. Il ne sait pas à quel point l'Empire est fort, malgré les apparences.

Et en effet, lorsque les sujets soutenaient le souverain, il était toujours fort. Et Gauvin sentait qu'Artur était aimé de son peuple.

Anushka ne savait plus trop où donner de la tête. Son esprit vagabondait dans des contrées lointaines avec plus d'aisance et d'indépendance depuis quelques temps, ce qui portait atteinte à sa concentration. Il ne fallait pas que cela nuise à son travail, et elle fit de son mieux pour se raccrocher à la conversation.

- Ainsi donc monsieur, vous venez de France ! C'est assez magique de se dire que l'on a l'un des chefs de Versailles dans nos cuisines. La table de Versailles jouit d'une si grande réputation! Stepan a raison, la vie reprend doucement ici. Certaines choses sont restées dans l'état de stase dans laquelle la guerre les avaient plongées, mais j'ose espérer que la cour de Saint-Petersbourg retrouvera rapidement son faste et sa grandeur, que vous voyez que nos autres les russes savons ne pas nous laisser abattre trop longtemps et que nous sommes au moins aussi bon vivants que les français... sinon plus, grâce à Stepan.

Elle ne savait pas pourquoi, mais ce nouveau chef lui en imposait, et elle aurai aimé qu'il voit le palais comme elle l'avait connu à son arrivée malgré les frasques et les complots de l'aîné de feu le Tsar.

hj: désolée pour le grand décalage horaire... J'essaie de gérer le quotidien du mieux que je peux avec ce foutu mémoire

Gauvin sourit:

-Je suis persuadé que la Cour de Russie tient déjà toutes ses promesses, du côté de la table. A vrai dire, je me suis évadé de Versailles parce que je ne supportais plus l'ambiance guindée des lieux. Je ne suis pas là pour diffuser ma science, mais pour échapper à la France.

Il ne voulait pas passer pour le français type: sûr de lui, arrogant, sûr du fait qu'il savait toujours tout mieux que tout le monde. Il voulait être un russe comme les autres, malgré ses origines. Et il ne voulait surtout pas être considéré comme un homme extraordinaire. Il était un cuisinier au même titre que les deux autres qui étaient présents dans cette même cuisine. Et il ne voulait pas qu'Anushka croit qu'il était une sorte de dieu inaccessible.

hj: pas de problème Anne-Cécile, moi aussi j'ai du mal à gérer!

*Certes oui, Artur serait un bon tsar, mais cela dépendait en partie du dîner du soir et du contentement de l'ambassadeur. Ils avaient du pain sur la planche, voilà qui était sûr!*

- Pour échapper à la France?

*Perdu dans ses pensées, il avait pourtant saisi la dernière partie de la phrase de Gauvin et se demandait ce qui pouvait motiver un chef français à fuir la France pour la Russie qui venait d'essuyer une guerre. Ce devait être violent, comme raison.*

Gauvin observa Stepan. Echapper, ce mot avait semblé lui faire un choc. Sans être fin psychologue, il avait ressenti une certaine compassion, chez Stepan. Comme si lui aussi avait vécu un exil forcé et malheureux. Mais lui, Gauvin, avait choisi son sort, il n'avait eu aucun mal à quitter la France, et s'échapper était plus une façon de parler qu'un fait réel.

-Oui, mais c'est une façon de parler, personne ne me retenait de force. Je suis parti aux vues et sues de tous.

Il n'osa pas demander à Stepan s'il avait vécu un exil, pour arriver ici. Sa vie avait l'air d'être un brin plus compliquée que la sienne. Il ne voulait mettre personne mal à l'aise.